Avis : ★★★★

Il y a de cela exactement cinquante-et-un ans et deux mois au moment où j’écris cette chronique, autant dire au siècle dernier… La foule grondait, les étudiants désertaient les universités, les ouvriers leurs usines. La rue bruissait et les pavés volaient. En un mot, la France vacillait. C’est ce moment crucial de notre histoire que Georges-Marc Benhamou a choisi de nous raconter dans son dernier roman « Le Général a disparu ».

Il nous relate l’instant où le Général de Gaulle décide, le 29 mai 1968, de partir à Baden-Baden sans en informer quiconque si ce n’est quelques très proches. A la manière d’un thriller, grâce à un récit parfaitement documenté, l’auteur nous fait entrer dans la tête de cet homme face à son destin. Nous assistons ainsi aux intrigues de palais, où chacun tente d’avancer ses pions, et surtout à la descente aux enfers d’un « Grand homme » persuadé d’avoir agi pour le bien de son pays et qui ne comprend pas ce déferlement de rage.

J’ai beaucoup aimé ce roman que l’on pourrait presque qualifier de documentaire, et à plus d’un titre :

A cette époque, j’avais vingt ans, issue d’une famille gaulliste et éduquée par des parents qui brandissaient la valeur travail en étendard. Faire grève à leurs yeux étaient une infamie et ils avaient pour le Général une adoration sans borne. C’est dire si la période fut difficile. J’avais vingt ans, donc, et je dois l’avouer, guère d’intérêt pour la chose publique. De cette période, il m’en restait des bribes, des noms, des photos de presse mais du détail, je n’en savais trop rien.  L’écrivain m’a permis de recoller les morceaux de cette révolution vécue de l’intérieur, certes, mais avec un regard dépourvue d’attention suffisante pour en comprendre l’essentiel.

Il m’a donné à revivre ces moments difficiles aux côtés des acteurs, ce fut à la fois passionnant et particulièrement émouvant.

Je l’ai aimé aussi pour le portrait de ce grand Général, sûr de ses idées, sûr du bien-fondé des mesures prises, sûr de tout ce qu’il avait entrepris, sûr de ce qu’il devait refuser, qui tout à coup chancelle sous les coups de boutoir de ces « veaux » de Français prêts à le décapiter.

« La dernière fois qu’il avait vu de Gaulle (c’est de Massu dont il s’agit), deux ans plus tôt, au moment de sa nomination à Baden, sa sortie du purgatoire, c’était le grand de Gaulle qui continuait à vouloir bouter les Anglais hors du marché commun, un Napoléon inspiré qui lui dévoilait les secrets de la sortie de l’OTAN, et les grandes manœuvres de la planète. »

Et là, il avait devant lui un vieillard, un vieux roi déchu. C’est un portrait tout en objectivité, poignant et touchant, où l’on voit l’homme de guerre se transformer petit à petit en un homme fatigué, usé, qui s’imagine « … Dans la baie de Kenmare…Et là j’aurai une haute ambition… Je tenterai d’être bibliothécaire, c’est le plus beau des métiers… » et ne sait plus à quel saint se vouer.

Je l’ai aimé encore pour son écriture simple mais brillante, élégante et précise qui facilite la lecture et donne un rythme saisissant à ces quelques jours pendant lesquels la vie de notre pays fut suspendue aux décisions d’un homme et a failli basculer dans l’horreur.

Un roman passionnant qui outre toutes ses qualités littéraires, historiques, politiques, m’a permis de rajeunir de cinquante ans.

Editeur : Grasset
Date de Parution : 14 août 2019
Nombre de pages : 240

Ce livre a été lu en avant-première grâce au magazine « Page des libraires » et aux Editions Grasset que je remercie chaleureusement.