,Avis : ★★★★★

S’il est un roman que j’attendais en cette rentrée littéraire de janvier 2020, c’est bien le dernier de Fabienne Juhel, « La Mâle-mort entre les dents ». Après « La femme murée » et « La chaise n°14 » qui m’avaient enthousiasmée, j’étais impatiente de retrouver l’écriture de l’auteure. Je n’ai pas été déçue.

De sa toujours très belle plume, coruscante, bariolée presque, extrêmement travaillée, riche de jeux de mots,

« Toi, tu as juste une gueule, de bois et de travers, la gueule des mauvais jours. Pas la gueule de l’emploi. »

d’allusions littéraires,  

« Aimé Vacher resserre le col de sa capote. Il manque deux boutons à son vêtement, deux trous au côté droit. »

 » L’île de Batz est ton indienne d’île. Jamais tu ne verras ton sang ne faire qu’un tour au large d’Ouessant, ni tu ne sentiras ta fin arriver au large de l’île de Sein. »

l’auteure, subtile, donne la parole àTristan Corbière. Il pénètre dans le camp de Conlie, dans la région mancelle, aux côtés de son beau-frère Aimé et rejoint nombre de soldats bretons arrivés là pour former l’armée de Bretagne et arrêter les Prussiens. Hélas, dépourvus d’armes qui n’arrivent pas, affamés faute de ravitaillement, ils pataugent dans la boue. Ils dorment sous la tente, le plus souvent affublés de vêtements mouillés. Et ne résistent guère aux diverses maladies contractées.  Elle fait ainsi de ce grand poète breton le témoin d’un épisode peu glorieux de la guerre de 70.

C’était osé de la part de Fabienne Juhel de se lancer un tel défi. C’était osé d’utiliser le poète, en réalité réformé, de faire fi de la chronologie, de lui organiser une rencontre avec Jean Moulin, même si ce dernier fut un temps Sous-Préfet de Chateaulin. C’était osé d’introduire aussi Max Jacob et même Colette Pons la collaboratrice de Jean Moulin dans le cadre de ses activités de camouflage en marchand d’œuvres d’art. Mais elle y réussit parfaitement. Le mélange des petites histoires à la grande fonctionne à merveille. Si je peux reprocher peut-être un manque d’action – mais y en avait-il ? –  je me suis laissée transporter dans un passé honteux de ma région natale, passé que j’ignorais totalement. Et surtout, surtout, cet ouvrage m’a incitée à relire les poèmes de Tristan Corbière et notamment la « Pastorale de Conlie ». Tristan Corbière, ce fameux poète maudit.

Editeur : Bruno Doucey
Date de Parution : 2 Janvier 2020
Nombre de pages : 288

J’attribue aussi un bon point aux Editions Bruno Doussey pour le format de l’ouvrage, peu commun et la couverture striée, couleur du feu, qui donne au visage du poète un magnifique éclat.