Vous imaginez un lézard festoyer ? Et puis à la lecture des pages, très vite l’ambiance du récit se révèle, elle aussi, étonnante et même davantage, et le titre s’explique.

Pour son premier roman Florence Herrlemann a choisi une narratrice fort particulière.

Isabelle de Morry, cette jeune femme au patronyme à la fois désuet et élégant est, pour le moins surprenante. Elle parle, parle, ne cesse de jacasser, de bavarder, d’apostropher Léo. Mais Léo ne répond pas. Qui est Léo ? Le double d’Isabelle, un personnage imaginaire, son journal intime ? Léo est toujours là, véritable confident, déversoir de haine, de peur, d’horreur. Car Isabelle vit dans une grande maison bourgeoise, dans une chambre avec des fenêtres à barreaux, près d’une mère qu’elle déteste, que dis-je, qu’elle hait, qu’elle exècre, qu’elle vomit. Et elle a peur.

Son père, son frère, elle les nomme mais ils sont bien absents. Seule la mère est omniprésente. Les invités, le médecin, mari potentiel dans l’esprit de la mère, les ″bonnes″, tout ce petit monde objet de critiques souvent violentes de la part d’Isabelle existe-t-il ? Car, visiblement l’auteur traite là d’une pathologie mentale et avec une virtuosité certaine.

Comment ne pas penser en effet que la vie de la narratrice est toute entière dans sa tête ?

L’écriture extrêmement diversifiée nous entraîne dans les logorrhées d’Isabelle, tantôt de manière abrupte à l’aide de phrases courtes et sèches, tantôt de façon plus douce, les phrases se faisant circonvolutions onctueuses, harmonies surannées. Si le fond du récit m’a été douloureux, pesant, accablant jusqu’à la nausée parfois, la peur souvent, je dois avouer que les mots m’ont bluffée. La prose imagée à l’extrême, travestissant la mère en ogresse, le cèdre en ami, narrant une vie aux limites du rêve, traquant les délires jusqu’à l’infini, fait de ce roman atypique une belle réussite littéraire.

Editeur : Antigone 14
Date de parution : 2 Avril 2016
Nombre de pages : 160