Jean-Philippe a apporté à mes questions des réponses qui lui ressemblent. Elles ressemblent tout autant à Florence, aux auteur(e)s, aux textes publiés : elles sont sensibles, à la fois humbles et généreuses, enthousiastes et discrètes… en un mot, elles ressemblent à cette maison que j’aime : La Trace.
Geneviève Munier : Pourquoi et comment êtes-vous devenus éditeurs ?
Jean-Philippe Lafont : Pour échapper à un réel, à nos divers métiers passés avec un système qui ne nous satisfaisait plus…
Et de toute évidence, les rencontres sont arrivées au bon moment.
Nous avons voulu aider un ami pour son livre au départ autoédité qui, selon nous, n’était pas suffisamment valorisé. Après quelques ajustements et une nouvelle couverture, ce livre, notre premier « Le Trésor de la Malune » fut un beau succès, qui se transforma en moins de 2 ans en une véritable saga historique en 5 Tomes…
L’aventure pouvait commencer !
L’édition était un monde que nous ne connaissions pas et nous n’aimons que ce que nous ne connaissons pas…
Y a-t-il un plus beau métier que de partager les mots des personnes qui nous passionnent, nous interpellent, nous touchent ?
Éditer c’est vivre plusieurs vies, rentrer dans cette pluralité d’esprit. Nous allons à la rencontre de « cerveaux » différents et cette diversité est fascinante.
G.M. : Pourquoi ce nom de « La Trace » ? Qui en est à l’origine ?
J.-P. L. : Nous vivons, soit à 1600 m d’altitude, soit dans un lieu sauvage du Cap Corse et sommes passionnés de hors-piste et donc attentifs à la trace éphémère du randonneur, avec cet autre langage des signes, empreintes d’oiseaux, d’animaux…
Aussi éphémère soit-elle, cette trace n’est-elle pas celle que tout écrivain souhaite laisser ? Cette tentative de tout être humain de laisser des signes de sa joie et de sa peur. Ce sillage, à la fois celui qui reste, mais qui peut aussi disparaître, c’est toute cette notion de la fragilité de la nature, des mots que nous tentons de préserver…
Le suivre à la trace, marquer, traquer les mots de nos auteurs. Notre intérêt est de les comprendre, les accompagner, être sur leurs traces.
G.M. : Être éditeur, ça signifie quoi pour vous ?
J.-P. L; : Très humblement, c’est avant tout le désir de rassembler une tribu des gens d’esprit… puis créer un chemin où il n’y en a pas. Les traces, ce sont les empreintes de mots des écrivains. Tenter de cristalliser les mots de nos auteurs sous forme de livres est une tentative pour nous de préserver ce qui est si fragile : la pensée.
G.M. : Quelle est votre journée « type » d’éditeur ?
J.-P.L. : Lire… 3 à 5 livres par jour…et suivre, marquer, traquer les mots, notre flamme, notre intérêt, notre envie. Notre « travail » est de comprendre les auteurs et de les accompagner, d’être sur leur trace.
G.M. : Vous êtes deux à la tête des Editions La Trace, comment vous répartissez-vous les rôles ?
J.-P.L. : Notre maison d’Édition c’est une équipe restreinte, autorisant ainsi le temps de la réflexion, de l’attente, du respect des échanges sans contraintes.
Florence qui a fait toute sa carrière dans des agences de communication supervise tous les aspects techniques et graphiques. La création visuelle étant intimement liée au texte, elle participe également à la décision du comité de lecture.
Désormais nous tentons de nous rapprocher du « sans-faute » de la perfection grâce à un comité de lecture pour améliorer notre travail…
Quant à moi, je suis souvent le « premier » contact, le premier « filtre » et lis les manuscrits en « avant-première ».
G.M. : Sur quels critères vous basez-vous pour accepter un manuscrit ?
J.-P.L. : Le plus difficile est de tenter de rester très objectif, car par lassitude, par inadvertance devant tant de manuscrits reçus (5 par jour en moyenne), les choix sont complexes. C’est un appel à l’émotion… qui se ressemble s’assemble.
Les auteurs sont très différents, mais notre travail c’est de récolter la corde sensible, la notion d’harmonie, chaque corde est différente, mais à nous de faire sonner l’ensemble de ces cordes pour réaliser le son le plus harmonieux.
G.M. : Quels liens entretenez-vous avec vos auteurs ?
J.-P.L. : Ce sont nos auteurs qui devraient vous répondre !
Nous pensons être naturellement plutôt en retrait, assez réservés, ce qui nous permet d’avoir une relation chaleureuse, mais avec un certain recul pour avoir une meilleure approche des textes. Mais pour définir cette relation il faut revenir à notre volonté première :
- Éditer ce et ceux que nous aimons vraiment et rien d’autre !
- Privilégier la liberté de nos auteurs : nous recherchons avant tout des auteurs qui sont des vagabonds, des ermites, des dissidents, des contrebandiers des mots…
- Tous ceux qui font l’école buissonnière et qui aiment les sentiers de traverse.
- L’être et les lettres doivent être en symbiose…
C’est pour cela que nous pensons que nos liens sont forts, avec une relation de confiance en prenant notre temps sans contrainte de rentabilité à court terme.
Seul l’enthousiasme à la lecture d’un récit et notre échange avec l’autre doit nous animer.
G.M. : Combien de titres publiez-vous par an ?
J-P.L. : Nous souhaitons publier un maximum de 12 livres par an.
G.M. : Vos couvertures sont toujours très belles. Comment les choisissez-vous ?
J.-P.L. : Après une discussion avec le comité de lecture sur une idée d’images, de couleurs dominantes…
Florence travaille seule sur le projet de couverture sur en principe deux directions de création.
Une décision s’impose après entre l’auteur et nous.
G.M. : La rentrée littéraire est là, pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce que sera celle des Éditions La Trace ?
J.-P.L. : Nos livres ont le temps d’une vie, donc la rentrée littéraire ne nous impose pas un calendrier spécifique. Ce calendrier ne s’impose donc pas à nos décisions.
Pour cette rentrée et ce quatrième trimestre , un livre par collection :
- Collection Roman : Dykothomia de Didier Curel
- Collection texte : Shima d’Okuba Kentaro
- Collection Regard : Noires et Blanches de Damien Glez
G.M. : En conclusion, êtes-vous des éditeurs heureux ?
J.-P.L. : Nous avons l’inquiétude de l’exploitation fragile d’une maison d’édition, mais nos relations avec nos auteurs et nos rencontres sont toujours animées d’une vraie ferveur sincère et naturelle.
Cette amitié avec et entre nos auteurs aplanit nos inquiétudes.
Et puis Heureux, oui, parce que Libres !
Tracer : c’est filer droit, nez au vent en toute liberté
Et si vous voulez en savoir encore davantage, cliquez ici : ⇓
https://www.editionslatrace.com/
Belle approche du métier peu connu d’éditeur. Merci.