Avis :★★★★★

Le premier roman d’Anaïs Llobet, « Les mains lâchées », paru en 2016 m’avait enthousiasmée. Celui-ci, « Des hommes couleur de ciel », bien que totalement différent, m’a de la même façon emportée.

L’écriture simple mais belle de l’auteur se transforme en un récit profond et bouleversant.

2017, La Haye, un grand lycée, un attentat terroriste, plus de trente morts, élèves et professeurs. Deux bombes avaient été placées à la cantine. Très vite deux suspects, deux frères : Kirem et Oumar, deux Tchétchènes exilés dans la ville avec leur mère. Et puis on découvre un troisième personnage, une femme, Alissa, elle est professeure de Russe, leur professeure. Oui, mais elle aussi estTchétchène et n’a eu de cesse de le cacher, tout comme elle a dissimulé sa religion musulmane… « On ne peut pas entrer dans une nouvelle maison tout en gardant un pied dans l’autre. Les portes laissées ouvertes suscitent des courants d’air. Et personne n’aime les courants d’air. »

Construit comme un thriller, le récit est mené de main de maître.

Et si je vous ai dévoilé quelques bribes de l’histoire c’est qu’elles ne sont que le point de départ. Anaïs Llobet connaît son sujet. Correspondante AFP en Russie pendant plusieurs années, elle met ses connaissances, ses compétences de journaliste au service d’un roman sublime.  Elle signe un portrait de notre société sans concession, sans pitié, sans pleurs ni jugement. Elle établit le constat précis des forces en présence, dresse la liste minutieuse des difficultés d’intégration, explique le regard des autres porté sur la différence. Il y est question de géopolitique mais aussi de culture. Et si Oumar est arrivé là, dans cette ville, c’est bien parce que sa mère a vu en lui un enfant différent, un jeune homme « couleur de ciel », selon l’expression utilisée en Tchétchénie pour désigner les homosexuels. Homosexuel, caché ou mort dans ce pays… Oumar, devenu Adam, un personnage tiraillé entre deux cultures, condamné dans son pays d’origine pour aimer les hommes, condamné pour vivre, même dans son pays d’accueil, à être coupable.

La simplicité de l’écriture abordée plus haut rend la lecture aisée, sans cacher à aucun moment le sérieux, l’intensité du sujet abordé, sa profondeur. Elle traduit à merveille la peur, le questionnement sur les culpabilités, la douleur, la différence entre apparences et réalité. Elle parle d’une Tchétchénie à feu et à sang, de Pays-Bas ouverts, apparemment bienveillants, accueillants, tolérants mais…  Elle n’oublie pas, pour autant, de parsemer le texte d’instants légers et poétiques nécessaires à la respiration « Un petit moineau s’était posé sur la rambarde de la fenêtre pour grignoter une miette de pain invisible. C’était possible, finalement, d’oublier. » Voilà, le temps d’un instant la vie « normale » reprend son cours…

Si la perfection existait en ce bas monde, je citerais ce livre en exemple. Je n’y ai trouvé ni temps morts, ni surcharge de détails, ni informations inutiles. Et je ne parle pas de la très belle couverture !

En un mot, ce roman est remarquable.

Editeur : L’observatoire
Date de Parution : 9 Janvier 2019
Nombre de pages : 220

Ce roman a été lu dans le cadre de l’association « Les 68 Premières fois. »