Avis : ★★★★

Jacques Houssay pourra se targuer d’avoir réussi à me sortir de ma zone de confort et sans déplaisir. Son premier roman « Border », sans être l’un de mes coups de foudre, m’a beaucoup intéressée et l’écriture n’y est pas étrangère.

L’auteur, je l’ai rencontré un soir de février 2018 au bistro des Tilleuls à Annecy. Il avait neigé quelques jours plus tôt, mais à l’intérieur il faisait bon et l’ambiance était chaleureuse pour partager bières et charcuteries savoyardes. Ce n’est pas mon amie Julie qui me contredira. Nous étions venues écouter Erwann Larher nous parler de ce fameux livre qu’il ne voulait pas écrire et Jacques était là pour l’interroger. Il conduisit l’interview avec une grande sensibilité, beaucoup d’humanité et une certaine timidité. J’étais curieuse, après l’avoir écouté, de lire ses mots sur le papier.

« Border », je ne sais toujours pas s’il s’agit d’une ville, d’un quartier, d’un lieu imaginaire. Ses habitants ne s’appellent pas Théodecte, Erasme, Acis ou encore Gnathon, mais plutôt Nerveux, Misérable, Doug, Vénus, Jeanne… Et c’est Scribouilleur, écrivain public qui en parle le mieux. Scribouilleur aide les habitants de Border, installé au fond d’une cour, mais il les raconte aussi, il les suit, les écoute, on pourrait même dire qu’il les filme. J’y ai vu des plans, des cadrages serrés, des plongées et des contre-plongées. Les personnages sont tous des laissés pour compte, ils boivent, fument, se droguent, divaguent, et pourtant la tendresse est présente et puis il y a Jeanne…

Quelle belle galerie de portraits !

Je n’apprécie pas les expressions grossières, trop nombreuses à mon goût dans le roman. Mon petit-fils dirait que je suis une chochotte, peut-être a-t-il raison. Je parlerais plutôt d’une préférence pour une langue plus châtiée. Pour autant, l’écriture de Jacques Houssay m’a bluffée. Elle donne un rythme fou au texte, l’enveloppe d’une ligne musicale. Ce n’est pas du Mozart mais des riffs d’AC/DC ou de Metallica et ça pulse. Je reconnais même que ça a de la gueule… tiens voilà que je parle comme l’auteur. A coup de petites phrases… sans verbes, pas de sujet, pas de compléments… des groupes de mots, de noms, des expressions posées là comme des dés jetés d’un cornet sur un tapis de jeu…Jacques Houssay m’a emmenée dans son univers. Malgré tous ces manquements à l’académisme, je le reconnais, c’est extrêmement beau :

« Rue des Couteaux. 5cm x 5cm x 5cm, pavés petits noirs de roche volcanique. Cubes luisants chargés de cristaux ? Caillots de sangs. Brillance chargée du feu de la terre. Ce feu sous nos pieds que nos crachats ne sauraient éteindre. »

Et quand ça se termine…

« J’aime chaque grain de poussière de cette terre que je maudis. Je suis cette terre sur laquelle je crache et qui a accueilli nos cris et nos silences, le corps des êtres aimés dans des rectangles profonds et froids…Il ne sert à rien de fuir. Il n’est pas certain que je sois fou… »

 … la vieille que je suis et l’institutrice que je fus voit dans « Border » un premier roman, parfois déroutant certes, mais plutôt réussi et vraiment percutant. 

Editeur : Nouvel Attila
Date de Parution : 15 Mars 2019
Nombre de pages : 208