Hervé POUZOULLIC, je ne l’ai jamais rencontré. En revanche je suis tombée en arrêt devant son premier roman « Le bigorneau fait la roue », bien rangé sur l’étagère « Nouveautés » à la Fnac d’Annecy quelques jours après sa sortie en mars 2016. J’ai ouvert le livre, lu les quelques premières lignes et l’ai embarqué sourire aux lèvres… J’en ai publié la chronique il y a quelques jours. Et, depuis décembre 2016, assez régulièrement, il m’arrive d’échanger avec Hervé sur Facebook.

 

Hervé POUZOULLIC, comme son patronyme le laisse entendre est breton et comme beaucoup d’entre eux, il est, un beau jour « monté » à Paris pour suivre ses études. Actuellement, diplômé de Sciences Po, il travaille dans une grande société de Biotechnologies et écrit… pour son plaisir, librement.

Son premier roman est drôle, et, d’ailleurs, il le confiait lors d’une interview pour un journal de Sciences Po, c’est sa conception de l’écriture :

« Les récits négatifs me plombent. Alors, j’essaie d’offrir autre chose, de la truculence, de la joie, des rencontres, de l’amour, de l’humour et des bons mots. »

Mais aujourd’hui, c’est une nouvelle, une nouvelle qu’il offre pour mon blog et que je vous propose.

 

Encore une belle histoire d’amour, légère et touchante, une jolie bluette… Hervé et son côté « old school »…

 

 LA BELLE ITALIENNE

Ce jour-là, à Montparnasse, je promenais ma tristesse rue de la gaieté. Quatre années sans amour, un crime contre mon humanité. Je tournai à gauche, remontai l’avenue du Maine. Il me fallait vingt-sept minutes pour faire le tour du cimetière Montparnasse. A quoi bon ? J’interrompis ma course devant l’Indiana Café. Je poussai la lourde porte, écartai le rideau poussiéreux et entrai.

Un accent italien, poli sur les gradins du Colisée, allait changer ma vie.

– Bonjour ! Je m’appelle Veronica, et c’est moi qui vais m’occuper de vous. Cette table vous convient ? Tenez ! Voici les menus. Je reviens dans cinq minutes prendre votre commande.

Ma longue solitude venait de rencontrer Veronica. Son petit tablier de travail lui enserrait la taille, libérait sa poitrine ronde et projetait dans l’espace son atomique fermeté. Deux coulées de lave portaient à ébullition la chaleur blanche de son sourire en coin. Ses iris, couleur Pompéi sous la cendre, couvraient l’horizon. Ses longs cheveux se perdaient en avalanche sur les pentes de ses épaules. Veronica dansait entre les tables et délivrait ses pains comme Mohammed Ali, volant comme une abeille et piquant comme une guêpe. Au bras de cette beauté romaine, les hamburgers flottaient dans l’air et les frites dansaient la tarentelle.

Mon cœur battait la chamade. Si je ne lui parlais pas maintenant, je n’aurais plus le courage de l’aborder.

– Bonsoir Veronica, puis-je vous parler un instant ?

– Oui, je prends votre commande.

-Vous faites bien plus. Vous prenez mon cœur.

– Il n’y pas ça sur le menu, mais j’ai d’excellents burgers….

Veronica me regarda tout d’un coup. Et sembla me voir.

– Vous savez il y a beaucoup de monde aujourd’hui…

– Non Veronica, nous sommes seuls à présent.

Je laissais à mes yeux le soin de continuer la conversation. De lui dire qu’elle me chamboulait. Que je voulais lui faire des enfants. Et lui faire l’amour pour cela. Que j’avais un penchant pour Pise. Que je pousserais pour elle la Porte du paradis de Ghiberti à Florence. Que je me baignerais devant elle dans la fontaine de Trévi à Rome en remontant ma jupe comme Anita Ekberg. Que j’achèterais une Vespa pour la promener dans les rues de Rome. Que le Pape serait notre ami et bénirait notre union. Que je monterais en haut de la Basilique Saint-Marc dérober comme Napoléon l’avait fait, le quadrige de Lysippe de Sicyone pour la promener au-dessus des canaux de Venise.

Les hésitations de la Belle s’estompèrent devant le lyrisme de mon discours muet. Et aucun miracle ne se produisit :

– Je prends votre commande… et on ne se revoit jamais.

Je désobéis le lendemain. Puis le jour d’après. Ne sachant que faire de ce râteau que je traînais derrière moi comme un boulet. Je me contentais de passer commande, de sourire, d’engloutir des sandwichs. Ce régime hyper-protéiné me donnait des boutons. Si selon Stendhal, les Italiennes ont inventé l’amour, Veronica semblait avoir inventé le coup de foudre à l’unilatérale. Je l’aimais. Elle ne m’aimait pas. Point final.

– Veronica, je vous trouve magnifique. Si vous continuez à ne pas me voir, je me suicide aux hamburgers. Je me glisse dans chaque narine une bouteille de ketchup. Et enfourne en une bouchée le BigMac que vous me servez tous les soirs pour m’étouffer.

– Ce n’est pas un Big. C’est un Double Cheese.

– Vous avez raison d’être précise. Vous pouvez me le dire, vous avez quelqu’un dans votre vie ? Ce n’est pas possible autrement.

– Pourquoi ? Vous pensez qu’il est impossible de résister à votre charme ?

– Résister, c’est déjà reconnaître que vous êtes envahie.

– Vous êtes touchant. Cela fait trois jours que vous venez ici, sans me quitter des yeux.

– Bon, Veronica, si j’arrive à vous surprendre, à vous faire rire, à vous faire rêver, sans vous parler, sans vous revoir, sans vous écrire, accepteriez-vous de me retrouver ?

– Hum…  d’accord.

Je n’étais pas trop sûr de moi dans cette affaire. Au moins, la situation était nouvelle. Je payai l’addition et quittai l’endroit, l’esprit et le corps en feu, réfléchissant à la façon dont j’allais pouvoir tenir cette promesse.

La nuit fut longue. Je me rendis à l’opéra Garnier pour acheter deux places pour le ballet de Rudolf Noureev, « La Belle au bois dormant », sur une musique de Tchaïkovski. Je choisis les meilleures places dans une loge du premier étage, face à la scène. Veronica pourrait admirer le spectacle. Je me réservai celle juste derrière elle… Je me rendis ensuite chez un fleuriste et commandai un bouquet de trente-cinq roses. Je lui demandai de le livrer en main propre avec le billet à Veronica vers dix-neuf heures, juste avant le coup de feu. J’avais investi une partie de mon prêt étudiant dans cette aventure. Et le solde de mes espoirs.

Le jour du ballet se présenta enfin, un samedi soir du mois d’avril, ce jour de la semaine où les Parisiennes s’apprêtent si joliment et font rêver le monde. Je me présentai en avance et déposai sur le siège qui lui était destiné une magnifique rose rouge. Je m’éclipsai en haut des escaliers, observant les allées et venues du peuple parisien. Les robes du soir et les nœuds papillons éclataient comme un catafalque d’étincelles. Ainsi placé, je cherchai des yeux une touche italienne qui ne manquerait pas de se démarquer de l’élégance parisienne. Marqué par notre rencontre, mon esprit inquiet recherchait dans la foule la forme bien connue d’un hamburger, d’une grande frite et d’un Coca que porteraient des bras élégants venus d’ailleurs.

Quand tout à coup, la Belle franchit les portes. Légèrement intimidée, Veronica passa le premier contrôle. Elle avait le sourire aux lèvres. Puis ses escarpins noirs partirent à la conquête des marches en marbre du grand escalier. Dissimulé au premier étage, je m’appuyai légèrement sur la main courante en onyx et admirai la longueur de ses jambes gainées de noir. Sa robe fourreau épousait ses formes et sublimait ses mouvements. Sa chevelure noire frappait l’air comme un fouet.

Après le second contrôle, Veronica entra enfin dans sa loge. Le spectacle allait commencer. Elle trouva la rose et chercha sans doute celui qui l’avait mise là.

J’attendis que le spectacle commence pour la rejoindre. Plongé dans la pénombre, je m’assis en silence derrière elle, me penchai légèrement et lui susurrai :

– Veronica, merci d’avoir tenu votre promesse. J’ai fait au mieux pour tenir la mienne. Je vais rester toute la soirée à contempler votre dos, à m’enivrer de votre parfum et à me perdre dans votre coiffure.

– Si vous me tirez les cheveux, ça va pas le faire. Et puis, vous allez vous ennuyer à me  regarder. Merci pour les fleurs.

– Je ne pensais vraiment pas que vous alliez venir.

– Vous devriez avoir plus confiance en vous.

– J’ai plus confiance dans les roses.

Pour une fois, j’assistai à un spectacle en entier sans dormir. Assis derrière elle, je regrettai de ne pouvoir prendre sa main dans la mienne. On ne peut pas penser à tout.

A la fin de la représentation, j’emmenai Veronica dîner au Coup’Chou dans le cinquième arrondissement, à côté du Panthéon. Nous nous installâmes tranquillement. Mon cœur célébrait chaque instant, battait la mesure de ma joie. A l’abri des regards du monde, Veronica souriait face à moi. Le feu de bois crépitait. Une lumière rouge caressait ses cheveux. Les bulles de champagne partaient vers le ciel. Nos regards se frôlaient en douceur.

Puis la conversation s’engagea. A vingt-trois ans, elle avait quitté sa Rome natale pour apprendre notre langue à la Sorbonne. Elle me parla de sa famille. De ses amours. Je lui parlai de la mienne. De mon désert affectif. De mon envie de découvrir le monde. Notre conversation était lumineuse. Paris aussi. J’étais drôle. Enfin, je crois. Je la ramenai chez elle en taxi. Osai lui prendre la main. Elle ne la retira pas.

Arrivés au 1 rue de la Chine, dans le vingtième arrondissement, je sortis du taxi, lui ouvris la porte, lui offris ma main, lui pris gentiment l’autre. Et la Belle ainsi dépliée appuya légèrement sa poitrine contre la mienne.

– Veronica, j’ai adoré notre soirée. Vous voulez que je vous raccompagne jusqu’à votre appartement ?

Quelle étape mystérieuse du protocole amoureux italien avais-je oublié ? Fallait-il échanger le premier baiser dans une église ? Brûler un cierge avant ?

– Marc, vous me plaisez beaucoup. J’ai envie de penser à vous et à cette soirée … sans vous.

– Oui, c’est logique.

– En Italie, quand une femme vous embrasse, c’est mauvais signe.

– Bien sûr ! J’aurai dû me renseigner avant quand même.

– Nous aimons que les hommes nous désirent, nous séduisent et pensent à nous jour et nuit.

Ah ! C’est donc pour cela que les Italiens ont la réputation de séducteurs ? La vérité, c’est que les Italiennes les font galérer. Et comme ils se ramassent des râteaux, ils en ont fait un mode de vie. Le séducteur italien, c’est une sorte de jardinier du cœur. Il passe sa vie à ramasser les feuilles sans jamais caresser les arbres.

Nous nous retrouvâmes avec plaisir le lendemain au Jardin du Luxembourg. Veronica portait une robe fleurie avec des escarpins, un maquillage léger. Parée de sa seule jeunesse, elle était encore plus belle. Je me retournai un instant pour m’assurer que le sourire de cette Romaine au jardin Médicis m’était bien destiné. La chaleur de ses mains dans les miennes réchauffa mon cœur, illumina mon visage et balaya mes doutes. J’avais tellement envie de l’embrasser que je me mis à zozoter misérablement et à baver un peu. Je ne pensais à rien d’autre : ses lèvres. Je ne survivrais pas à un deuxième râteau…

Tant pis, cela passe ou cela casse. Je me lançai.

– Bon, Veronica, la vérité, c’est que vous me chamboulez complètement. Vous êtes si belle ! J’ai du mal à penser que vous soyez ici pour moi. Je n’ai rien écouté de la musique, ni vu le ballet. J’ai passé ma soirée à me perdre dans votre chevelure. A m’approcher de vous au risque de vous toucher. A respirer votre parfum. Je bafouille en vous regardant comme si j’avais quatorze ans.  Je suis raide dingue de vous. « Dinguino » comme on dit en italien. Je n’ai qu’une envie, vous prendre dans mes bras et vous embrasser.

– Dinguino, cela n’existe pas en italien …

Mais elle approcha ses lèvres des miennes.

Hervé POUZOULLIC

Un grand merci Hervé.

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