Dans « Molécules », Jeanne, infirmière dans un centre psychiatrique est découverte morte sur son palier, le visage lacéré de coups de cutter. On pourrait dire que nous avons affaire à un roman policier. En effet, oui il y a une enquête, oui nous assistons à des interrogatoires, oui nous sommes confrontés à des suspects et, oui les policiers finissent par trouver un coupable : un ancien amoureux éconduit. Mais ne croyez pas que je vous livre la clé, car là n’est pas l’essentiel.
L’histoire est, en fait, le prétexte à une étude approfondie de personnages. François Bégaudeau ne s’arrête pas simplement sur les principaux – le mari, la fille… – il s’intéresse aussi à la concierge de l’immeuble, aux patients du centre, êtres fragiles et différents, et à bien d’autres que d’aucuns qualifieraient de secondaires. L’écriture est jubilatoire qui permet de passer allègrement de la tragédie à la comédie et n’a pas son pareil pour nous faire vivre des scènes hilarantes,
« Au fond du parc, deux piquets orphelins et une raquette prise dans les fils électriques suspendus composent un reliquat d’activité badminton. Un vingtenaire s’égosille à expliquer à une femme deux fois plus âgée que jeter sa raquette en l’air n’est pas la meilleure méthode pour jouer. »
L’auteur emploie aussi nombre d’expressions « retoquées » à sa manière,
« Le capitaine Brun ne dit mot sans consentir. »
« Hamza répond que justement la foi vient en priant ».
De la même façon, d’élégantes périphrases enluminent des réflexions pour le moins scabreuses,
« La pharmacienne ayant, comme déjà dit, gobé force queues, il semble imprudent de confier la direction de l’enquête à un officier de police judiciaire qui se trouve elle-même posséder une bouche susceptible de prodiguer des faveurs licencieuses à une partie conséquente de la population masculine. »
Et je ne parle pas du regard malicieux porté sur les forces de l’ordre, les juges et les experts…
Ce roman est décidément un régal de lecture où le loufoque se combine au poignant, l’absurde au raisonnable, l’humour à la gravité, le rire aux pleurs. Du rire aux pleurs, c’est bien ça car jamais n’est exclue, malgré la légèreté apparente, une tendresse discrète à l’égard des éprouvés. Et, si je n’ai pas tourné les pages aussi vite que désiré c’est uniquement pour savourer les mots triturés en tous sens. Je ne peux terminer sans évoquer le plaisir ajouté tout au long du récit, à l’évocation de lieux chers à mon cœur, amoureuse que je suis de la ville d’Annecy.
Editeur : Verticales
Date de parution : 18 Août 2016
Nombre de pages : 256