Déjà la couverture est une oeuvre d’art.

Très sensible à la couverture d’un livre pour le choix de mes lectures, celle-ci, d’une beauté sans nom, ne pouvait que m’inciter à l’ouvrir. Et l’ouvrir, c’est ne le refermer qu’après le dernier mot. J’ai, en effet, lu ce roman d’une traite, presqu’en apnée, la boule au ventre et le cœur serré. Je fus entraînée par un texte exempt de points, une litanie, un souffle, une suite de mots, une histoire hors du commun… Nous sommes dans les années 1860 et Mathieu Belezi donne la parole à Emma Picard, une femme veuve et maman de quatre fils à laquelle la France offre une ferme et vingt hectares de terre en Algérie. Elle accepte, pensant ainsi pouvoir échapper à la pauvreté et donner un avenir à ses enfants.

L’écriture est merveilleuse.

Et là, dans le roman, elle raconte, se raconte le temps d’une nuit. Elle parle sans même respirer à son unique fils survivant. Elle s’adresse à lui par bribes régulièrement intercalées dans sa logorrhée. L’écriture de Mathieu Belezi est une merveille, un chant funèbre et poignant ponctué de rares moments joyeux. L’auteur décrit une Emma volontaire et courageuse qui remet régulièrement l’ouvrage sur le métier. Une Emma qui s’acharne malgré les difficultés.  » [elle] qui [avait] eu le malheur d’écouter ce qu’un homme à cravate assis derrière son bureau de fonctionnaire [lui] conseillait de faire pour sortir du trou dans lequel je me débattais depuis la mort de Gustave… » Les cultures sont brûlées par le soleil d’été, qu’à cela ne tienne, elle arrache, elle replante et la vie repart. Il n’y a plus d’eau dans le puits, qu’à cela ne tienne, Mékika, son « fidèle arabe », attelle l’âne et va à la source lointaine remplir des seaux. Les mots dessinent une Emma têtue, qui s’obstine, jour après jour, à défier les éléments qui persistent à lui mener la vie dure. Elle enjolive une vie d’esclave qui, par moments, réussit à trouver des fleurs au milieu des orties, un peu d’amour au milieu de l’horreur, un peu de vie au sein de la mort. « Emma Picard » est un roman à nul autre pareil, une voix venue de l’enfer, un ouvrage inoubliable.

Ce fut un coup de foudre, plus, plus, plus.