Décidément, la seconde guerre mondiale n’a pas fini de faire écrire à son sujet.

Rien qu’en cette rentrée littéraire de septembre, plusieurs auteurs ont choisi cette période comme décor de leurs œuvres. C’est le cas de Sébastien Spitzer qui, dans son premier roman « Ces rêves qu’on piétine » nous parle, à plusieurs voix, non pas de la guerre, mais de sa fin.

Telles des droites parallèles qui défieraient les lois mathématiques pour se rejoindre au bout du bout, il nous conte par chapitre alterné les derniers moments de Magda, cette « Médée moderne », comme il l’appelle, première dame du Reich, mariée à Joseph Goebbels haut dignitaire nazi, qu’elle n’aime pas d’ailleurs et d’Ava, une petite fille née dans le camp 24 A d’Auschwitz et dont la mère servait au divertissement des soldats allemands.

Au travers de ces chapitres se construit sous nos yeux la chute du nazisme, vu à la fois du côté des vaincus – Magda Goebbels – et des vainqueurs, qui n’ont pas meilleure figure – Aimé, Judah, Fela, Ava – tout juste libérés des camps de la mort. Un fil conducteur terrible accompagne leur périple sur les routes : un rouleau de cuir ramené par Ava et qui contient des lettres… celles d’un père à sa fille… Richard Friedländer, interné dans un camp de concentration en qualité de juif, à sa fille adoptive Magda, l’une des responsables du plan d’épuration nazie.

Ce roman est noir, très noir, et pourtant par moments l’écriture de Sébastien Spitzer qui entrelace magnifiquement les mots réussit à apporter un peu de douceur à la misère du monde. Il a la distance nécessaire pour nous parler de cette période monstrueuse, sait parfaitement mélanger la réalité des faits aux propos romancés. Il l’explique très bien dans une postface d’un grand intérêt :

« J’ai valsé avec les faits, dans une danse à deux, collés, main dans la main, flirter du mieux possible avec le vraisemblable pour imaginer le reste… »

En un mot, c’est lui qui le dit aussi, il utilise les travaux des historiens comme « autant de garde-fous ».

J’ai trouvé ce roman passionnant, magnifique, ensorcelant par le sujet traité, la structure narrative, l’écriture fabuleuse, poétique, musicale,

« Un bac en grosse pierre granitée retient une eau fangeuse, des têtards qui zigzaguent, des trémas d’algues ponctués de pattes d’hydromètres, des feuilles noyées au fond. »

J’ai aimé suivre le cheminement des personnages tous forcément attachants jusque dans l’horreur de leurs gestes pour certains. Il s’agit là, à mes yeux, d’un ouvrage, fort, profond, intense, parfaitement documenté, de ceux que l’on n’oublie pas, un ouvrage sur la folie d’hommes et de femmes avides de pouvoir, un véritable gardien du devoir de mémoire .

Les membres du jury du Prix Stanislas 2017 ne s’y sont pas trompés, qui l’ont couronné.

Editeur : L’observatoire
Date de Parution : 23 Août 2017
Nombre de pages : 308