Il y a plusieurs jours maintenant que j’ai fermé le premier roman de Gaëlle Pingault « Il n’y a pas internet au Paradis » et les mots sont toujours là, qui tournent en boucle.

Dire que j’ai aimé ce roman est trop faible.

Il ne s’agit pas uniquement de sentiments, l’intérêt se trouve aussi ailleurs. Je l’ai lu autant avec mes tripes qu’avec ma tête. L’histoire d’Alex et d’Aliénor pourrait être celle de tout un chacun. C’est en effet celle d’un jeune couple auquel tout réussit : ils exercent un métier intéressant – un bon métier, comme on dit – ils s’aiment, envisagent d’avoir des enfants. En quelque sorte, ils mènent une vie normale, tranquille, heureuse. Mais… arrive, dans l’entreprise d’Alex, une machine à broyer l’humain sous le nom prédestiné de Boucher. Et tout va basculer, petit à petit, jusqu’à… l’immolation. Et Aliénor  se raconte sous forme d’un dialogue qui va très rapidement se transformer en monologue.

Autant que du deuil, de la solitude, du chagrin lié au départ volontaire de l’autre, de la résilience et de la renaissance lente à la vie de celle qui reste, c’est du harcèlement au travail dont nous parle la romancière avec une grande finesse. Sa plume simple, alerte, dotée de quelques brins d’humour, les informations commentées par Alex en fin de chapitre, préservent le texte du pathos auquel nous aurions pu nous attendre.

Les interrogations sont nombreuses sur la mise en place de cette destruction massive d’employés.

Le pourquoi, ça on le connaît, mais le comment ? Alors forcément de nombreuses questions sont posées… « Je me suis souvent demandé, après coup, si cette angoisse préliminaire faisait partie de la stratégie. Faire circuler, avant l’arrivée du grand méchant, des rumeurs bien flippantes sur son compte était-il un moyen de préparer le terrain pour que les gens commencent à confire dans leur angoisse ? ». Le monde du travail, de plus en plus difficile, de plus en plus victime de la recherche de profit est ainsi décortiqué, page après page, avec objectivité. Et j’ai avancé dans ce roman, la peur au ventre. La descente aux enfers d’Alex, incapable de communiquer, même avec celle qu’il aime, tant il lui est difficile de reconnaître ce qu’il vit, de se voir humilié, piétiné est d’une grande violence. Pourtant, la touche de douceur toujours présente dans les mots de Gaëlle Pingault en rend la lecture supportable qui ouvre les yeux sur ce que vivent certains travailleurs.

« A quel moment précis commence le harcèlement, à quelle minute exacte se met en place la machine qui massacrera graduellement mais implacablement tous ceux qui se trouveront sur son chemin ? »

Grande énigme !

Magnifique récit, fort témoignage sur l’impossibilité d’aider l’autre, ce premier roman est de mon point de vue de grande qualité. Et n’allez surtout pas croire que mes origines bretonnes – oui, je suis une « payse » de l’auteur –  y soient pour quelque chose.

Editeur : Editions du jasmin
Date de parution : 3 septembre 2017
Nombre de pages : 224