Roman, j’ai bien dit roman.

En réalité, je me suis posé la question du classement de cet ouvrage. Mais, les auteures elles-mêmes reconnaissent dans le prologue : « Les événements que nous racontons ont été vécus par les protagonistes, bien qu’ils soient contés à notre façon. » Elles racontent, donc, la vie de leur arrière-grand-mère maternelle – qu’elles n’ont pas connues et dont on ne parlait pas – Gabriële Buffet, morte de vieillesse à 104 ans. Gabriële est une femme hors du commun, musicienne talentueuse, féministe avant l’heure qui pourtant fera fi de sa liberté pour s’attacher à un homme : l’amour de sa vie. Adulée des hommes, intelligente, elle leur servira souvent de guide, ses avis toujours judicieux leur seront précieux. En revanche, malgré ses quatre enfants, jamais elle n’aura la fibre maternelle

Cet ouvrage m’a littéralement transportée dans un autre monde,

un monde d’artistes tous plus talentueux les uns que les autres et que je connaissais… ou pas. Je n’avais jamais, par exemple, entendu parler de Francis Picabia, le grand amour de Gabriële, ni même de Marcel Duchamp. Il faut dire que ma connaissance dans le domaine des arts n’est pas encyclopédique. J’ai donc découvert avec beaucoup d’intérêt ces peintres hors norme. J’ai de plus été particulièrement heureuse de croiser Apollinaire, ami sans faille de Gabriële.

Le phrasé particulièrement fluide, l’écriture alerte, rayonnante, légère traduisent à merveille cette vie tourbillonnante que mènent Gabriële et ses admirateurs. L’ambiance artistique, la vie dans les ateliers de peinture, les voyages tous azimut qui sur un coup de tête, parfois de nuit, les emmènent du Jura à Saint-Tropez, de Cassis à Lausanne, en Amérique ou ailleurs… tout cela est, à mes yeux, raconté à la perfection. Plus qu’une lecture, c’est une vie que l’on respire au fil des pages, une vie riche d’arts, de conversations sans fin, de fêtes, mais aussi de boissons fortes et de drogues. J’ai partagé l’admiration visible des romancières pour cette arrière-grand-mère qu’elles ont voulu ressusciter pour leur mère qui « n’a connu aucun membre de sa famille. » « Pour notre mère Lélia, nous avons essayé d’éclairer la nuit. » disent-elles.

J’ai apprécié, parsemés ça et là en fin de chapitres, les « a parte » des deux sœurs qui expliquent, s’expliquent, échangent leurs ressentis face à leurs découvertes « Je parlais de Gabriële hier avec des amis, j’essayais d’expliquer notre initiative de réhabilitation… Car ce qui est troublant chez elle, c’est qu’on ne l’a pas empêchée d’être. C’est elle qui a voulu qu’on l’oublie… Elle est un messie. Mais un messie qui n’est pas prosélyte. »

Roman, biographie, documentaire, après tout peu importe.

Cet ouvrage est à mes yeux une véritable réussite, un vrai plaisir à découvrir et savourer. Et ce plaisir, c’est celui qu’Anne et Claire Berest ont visiblement ressenti à chercher, décoder puis retranscrire l’aventure terrestre si originale et riche de Gabriële.

Editeur : Stock
Date de parution : 23 Août 2017
Nombre de pages : 450