Chronique exceptionnellement rédigée par Lucien MUNIER, joueur d’échecs passionné.

Franck Brady, dans Fin de partie, nous gratifie de plusieurs scènes semblables, sous haute tension, jusqu’à l’apothéose : le championnat du monde que Bobby remportera à Reykjavik en août 1972 –  le tournoi de « l’ours russe contre le loup de Brooklyn » titra le Time – renversant du même coup le tenant du titre, le Russe Boris Spassky, et l’Union Soviétique toute entière. Sur fond de politique et de guerre froide.

L’auteur sait de quoi il parle : il a côtoyé de près le prodige.

Et a apprécié ses exploits mémoriels :

« Chaque fois, Bobby soupesait les possibilités, … choisissait les meilleures lignes de jeu, éliminait et décidait. C’était une leçon d’histoire et un cours d’échecs, mais c’était surtout un exploit de la mémoire. … Je me mis à pleurer tout bas, conscient qu’en cet instant suspendu, j’étais en présence d’un génie. »

Passionné d’échecs, je connaissais Bobby Fischer, au-travers de son livre mes 60 meilleures parties. Mais je ne connaissais pas Robert James Fischer, né le 9 mars 1943, de Hans Gerhardt Liebscher, biophysicien allemand, et de Regina Wender, médecin, de nationalité américaine.

Je ne connaissais pas non plus ni son enfance, ni son adolescence. Ni sa scolarité erratique, malgré – ou à cause de – son QI incroyable de 180. Ni les caprices du jeune prodige, ni la fragilité de l’homme.

Frank Brady, avec cette biographie, a comblé cette lacune, simplement, consciencieusement, insidieusement, en 3 tableaux : l’ascension fulgurante, le règne éphémère, et la chute inexorable du champion. Il décrit avec pudeur la suspicion grandissante du champion envers ses partenaires d’abord (surtout les Russes), envers le monde entier ensuite. Alors ? Collusion de ceux qu’il appelait « les tricheurs rouges » ou complexe de persécution ? Passion ou obsession ? Interprétation ou réalité ? Déstabilisation, croyance, mysticisme, intrigue, complot … Tout défile dans la tête de Bobby, d’abord chrétien antisémite, reclus antichrétien, puis phénix antiaméricain.

Eternel voyageur (Allemagne, Suisse, Autriche, Japon …) il était aussi un éternel fugitif : poursuivi par le gouvernement américain pour s’être rendu dans l’ex-Yougoslavie en 1992, en pleine guerre des Balkans, et malgré l’embargo, il l’était aussi par le gouvernement israélien pour antisémitisme, et pensait l’être par les Soviétiques depuis le championnat de 1972.

Chapitre après chapitre, Frank Brady nous entraîne irrésistiblement dans une succession de scènes nous dévoilant un champion qui s’affirme et un homme qui décline, un génie qui grandit et une personnalité qui se fragilise, confinant au fanatisme. L’auteur, avec adresse, a alterné les scènes d’échecs où la tension est palpable, et les scènes d’histoires politiques, propres à alourdir – encore – l’atmosphère. Cette alternance est une véritable réussite.

Ce livre ne s’adresse pas uniquement aux joueurs d’échecs.

Ceux-ci n’y trouveront aucune partie, aucun problème, aucune combinaison, aucun diagramme. Tout juste auront-ils le bonheur de lire quelques grands noms des échecs mondiaux, comme Robert Byrne, Botvinnik, Taïmanov, Larsen, Petrossian, Karpov, Kasparov … Cet ouvrage est avant tout une biographie sans complaisance, un livre d’histoire aussi, l’histoire d’un champion hors normes, l’histoire d’un homme qui, à un partenaire qui lui disait que les échecs, c’était comme la vie, répondit :

« Non, les échecs ne sont pas comme la vie. Les échecs, c’est la vie. »

 

Editeur : Aux forges de Vulcain
Date de Parution : 2 Février 2018
Nombre de pages : 476 (dont 73 de remerciements et notes)

Traducteur  : Vincent RAYNAUD